Rennes le 17 octobre: discours de Georges Ploteau

Rennes 17/10/1961. Passerelle des Jumelages, quai Chateaubriand.
Prise de parole Unitaire. Georges Ploteau, ARAC

Mesdames, Messieurs, chers amis,
Depuis déjà plusieurs années, nous nous retrouvons parfois entre habitués, d’autres nous rejoignent pour la première fois, nous remercions les uns et les autres de leur présence. Nous avions décidé que chaque année un représentant des Associations organisatrices prendrait la parole, cette année c’est à l’ARAC (L’Association Républicaine des Anciens combattants et victimes de Guerre) des Combattants pour l’amitié la solidarité et la paix qu’il a été demandé d’intervenir.

Tout d’abord, je voudrais saluer les personnes présentes et les Associations et organisations, signataires de l’appel national. Nous avons essayé de joindre sur le plan local les associations et les syndicats et partis politiques locaux signataires au plan national ont été invités et nous remercions leurs représentants ce soir.

Mais, il faudrait remercier tout particulièrement de leur présence les représentants du Consulat d’Algérie à Nantes dont Madame la Vice-Consul et également les deux représentantes de la Ville de Rennes.1

Beaucoup d’entre vous connaissent probablement, mais il n’est pas inutile de le rappeler, le climat qui régnait en octobre 1961. Depuis 7 ans, la France menait ce qui était appelé officiellement « des opérations de sécurité et de maintien de l’ordre en Afrique du Nord » mais qu’on appelait déjà en France la Guerre d’Algérie et que les Algériens appellent Guerre d’Indépendance.

Une guerre coloniale où des centaines de milliers d’Algériens laisseront leur vie et près de 30,000 militaires français souvent des appelés; parmi eux 335 de notre département dont les noms et l’âge (souvent un vingtaine d’années) figurent aujourd’hui à Rennes sur un Mémorial.

En 2012, 50 années après, il faut rappeler que le cessez-le-feu et l’indépendance algérienne furent massivement approuvés par référendum en France et en Algérie. On découvrait tardivement que ceux qui pendant des années étaient considérés en France, comme des rêveurs, voire des individus dangereux pour la Nation avaient raison! La solution du « problème algérien, » comme beaucoup de journaux l’écrivaient à l’époque, n’était pas militaire, elle ne pouvait avoir lieu que dans le respect des droits et dans une négociation politique. On ne peut indéfiniment mener un peuple avec le bâton ou la mitraillette.

Revenons à 1961,2 la communauté venue d’Algérie en France métropolitaine se composait d’environ 350,000 personnes au cours de ces années. Le seul département de la Seine comptait 150,000 hommes qui représentaient souvent une main d’œuvre à bon marché à qui étaient souvent confiés les travaux les plus pénibles. Seuls ou avec leurs familles, ils n’avaient souvent pour s’abriter et vivre qu’un coin de taudis ou les tôles des bidonvilles de banlieue.

Suite aux actions armées du FLN, le préfet de Police Papon, en plein accord avec le gouvernement de l’époque, prit la décision, le 5 octobre 1961, je cite « de prononcer le couvre-feu pour les français musulmans d’Algérie de 20h30 à 5h30 du matin. » Étaient également cités les débits de boissons « tenus ou fréquentés par les français musulmans » … à partir de 19h, la circulation en voiture de ces mêmes français musulmans.

A noter, cette définition officielle de « français musulmans d’Algérie » pourtant originaires des départements français d’Alger, Oran et Constantine; à cette époque elle désignait ceux qui n’étant pas d’origine européenne n’avaient pas les mêmes droits. D’ailleurs dès le 12 octobre le MRAP rappelait le caractère raciste de cette décision.

Cette population souvent humiliée, fréquemment interpellée au faciès par des contrôles de police, parfois matraquée lors de rafles, ressentait ce que vivait celles et ceux de leur famille restés au pays en Algérie.

Ce « ras-le-bol » venait rejoindre la volonté de défendre les droits à l’égalité et le droit des peuples à disposer d’eux-mêmes, ce qui explique je pense, pourquoi des milliers de manifestants algériens (30,000 … 50,000?) répondirent à l’appel de la Fédération de France du FLN pour manifester dans le calme et braver l’interdiction. Partant de plusieurs points ils voulaient, dans cette soirée du 17 octobre 1961, manifester au cœur de Paris.

Le FLN avait tenu à organiser seul cette manifestation. Aucun drapeau, pancarte, banderole d’aucune organisation politique, syndicale, humaniste de soutien n’était admis. Toute arme ou couteau étaient strictement interdits, nul ne pourra d’ailleurs démontrer l’inverse. Il fallait éviter toute réponse à une provocation, il s’agissait bien là d’un rassemblement pacifique.

Pourtant, aux entrées à Paris, les forces de police présentent en force se jetèrent avec violence sur les manifestants. On ne peut dire que cela relevait de quelques bavures Gilles Manceron cite dans l’ouvrage « Le 17 10 1961 par les textes de l’époque » ce qu’il appellera « un permis de tuer, » Maurice Papon lui même déclarait aux obsèques d’un policier tué par le FLN « Pour un policier tué, nous tuerons dix algériens suspects d’être des soutiens du FLN. »

Comme nous l’évoquions lundi au débat, ce Monsieur Papon sera plus tard condamné pour crimes contre l’humanité pour sa participation à la déportation des familles juives à Bordeaux. Malgré son passé douteux, les hommes politiques de la 4e puis de la 5e République, lui avaient accordé en Afrique du Nord puis à Paris des responsabilités importantes, ses décisions à Paris, ne seront jamais contestées par une autorité ministérielle.

Comme il est écrit dans l’appel national sur ces dizaines de milliers d’Algériens:
« Ce jour-là, et les jours qui suivirent, des milliers de ces manifestants furent arrêtés, emprisonnés, torturés – notamment par la « force de police auxiliaire » – ou, pour nombre d’entre eux, refoulés en Algérie. Des centaines perdirent la vie, victimes d’une violence et d’une brutalité extrême des forces de police. »

On retrouvera des corps de manifestants jetés dans la Seine. Les manifestants réels ou supposés seront poursuivis jusque dans les couloirs du métro. Il y eu au total 15000 arrestations dont 3000 furent maintenues.

Le collectif national souligne que: 51 ans après, la Vérité est en marche. Cependant, la France n’a toujours pas reconnu sa responsabilité dans les guerres coloniales qu’elle a menées, – en particulier la Guerre d’Algérie – non plus que dans le cortège de drames et d’horreurs qu’elles ont entraînés, comme ce crime d’État que constitue le 17 octobre 1961. Certains osent encore aujourd’hui continuer à parler des « bienfaits de la colonisation, » à célébrer le putsch des généraux à Alger contre la République.

Si nous nous retrouvons, chaque année à Rennes, ce n’est pas pour cultiver des haines ou des rancunes, mais au contraire pour ouvrir des voies pour aujourd’hui et pour l’avenir.

Voilà pourquoi en cette année 2012, nous souhaitons que l’Histoire puisse s’ouvrir, notamment que les chercheurs français puissent « travailler ensemble, avec leurs homologues de l’autre rive de la Méditerranée. »

En cette période où renaissent les vieux démons de populisme, de racisme et d’exclusion, ou certains cherchent encore à réhabiliter les anciens de l’OAS, il est important que les leçons du passé soient retenues.

L’appel nationale le rappelle:

« Avec le 50e anniversaire de la fin de cette Guerre d’Algérie, nous attendons des plus hautes autorités de la République qu’elles reconnaissent les responsabilités de la France afin qu’une page nouvelle s’ouvre sur l’amitié et la fraternité entre les peuples algérien et français. »

Rappelons que l’an dernier, François Hollande participait au 50e anniversaire du 17/10/1961 et avait pris des engagements. Aucune réponse ne semblait à ce jour avoir été rendue au Collectif national, une délégation devait se rendre, quand même à l’Elysée cet après-midi.3

Il faut dire également que beaucoup d’entre nous ont été ou seront surpris en apprenant que Mr Le Drian, ministre de la Défense inaugurerait officiellement le mois prochain à Fréjus, une stèle en l’honneur du Général Bigeard, personnage qui se rendit tristement célèbre pendant la guerre d’Algérie.

Mais ces nouvelles inquiétudes n’empêcheront pas je pense nos associations et organisations dans leurs diversités à continuer à agir pour que la Vérité et la Justice sur ce 17 octobre 1961 et à continuer de demander aux représentants de la Nation qu’ils agissent dans ce sens.

Mesdames, Messieurs, Chers amis,

Les fleurs que nous allons jeter dans la Vilaine seront un hommage à la mémoire des victimes de ce 17 octobre.

Mais ce geste s’adresse également aux vivants. Ce 17 octobre nous rappelle aussi que dans nos villes chaque femme, chaque homme quelle que soit ses origines, celles de ses parents ou grands-parents doit être aujourd’hui un citoyen à part entière et pour cela que les démons de la haine, de la guerre, du racisme ne doivent jamais ressurgir.

Elles ne traverseront sans doute pas les mers mais comme nous l’avons dit elles peuvent rappeler qu’une page nouvelle doit s’ouvrir entre les peuples algériens et français.

Avec toute notre amitié, pour le peuple algérien.

  1. Madame la Vice-consul transmettra certainement notre message.
  2. les passages en bleu ont été ajoutés, lors de la prise de parole
  3. A cette heure à Rennes, la position du Président de la République ne nous était pas encore parvenue

 

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